LA FRONTIERE
Qu'est-ce que le Manuscrit de La Frontière? La lecture vous le révèlera en son temps. Pour l'instant, c'est à lui de vous révéler ses secrets.
Extrait du Manuscrit de la Frontière
La magie habite les recoins les plus étroits de notre univers
Elle est autour de nous dans la chaleur de l'été ou la glace de l'hiver
Nos yeux ne la perçoivent plus depuis ce qui semble une éternité
Mais elle nous contemple silencieusement de toute sa réalité.
L'enfance et la folie dansent cependant toujours dans sa ronde
Tendres et innocentes bercées par la lumière de notre monde
Sa fantaisie enveloppe chacune des chose que nous connaissons
Seulement un instant, laissons notre esprit se faire vagabond.
Tendez doucement l'oreille à ce que vous pensez être silence
Laissez cet être poser la main sur votre front d'innocence
Afin d'oublier tout ce que vous croyiez avoir du sens
Car là où vous allez pénétrer ont changé les règles et l'évidence.
Toutes les histoires des tous les êtres sont écrites quelque part
Dans un endroit où elles sont immortelles contre tout hasard
C'est le cas de celle que l'univers va vous conter dans l'intimité
De cette magie qui, sans que vous le sachiez, en vous a déjà opéré.
INTRODUCTION
De nombreux adultes sont restés de grands enfants. Ils aiment s'évader de la réalité et prendre l'envol pour un autre univers. La réalité quotidienne nous a habituée à penser que la vie est comme ceci, le monde comme cela, et nous a enfermé dans une bulle close que rien ne peut pénétrer. A l'intérieur, pas de place pour de nouveaux possibles, des éléments imaginaires...Non, juste une bulle close rigoureusement régie par des règles, du prévisible...et des idées «toutes faites» -comme dirait Tistou Les Pouces Verts. Pourtant, renonçons un instant à toutes nos convictions:et imaginons que ce que nous appelons la réalité soit plus vaste que cela. Que des choses que nous ne croyions pas possibles, à peine imaginables, puissent exister.
A priori, tout le monde peut lire un roman; la lecture est un choix. Mais ce livre-ci est un peu particulier;il a des exigences. Tordues, cela va de soi, à la hauteur de l'histoire qu'il conte. Non, c'est une plaisanterie! Enfin...pas tout à fait. Disons que je n'ai pas envie de vous effrayer à peine arrivé à la première page de ce livre; ce serait dommage. Imaginez ce que vous pourriez rater: Une autre regard sur le monde, et en prime une foule de questions à laquelle vous n'aurez jamais de réponse! Je sais ce que vous vous dites: une belle jambe!
Allez, soyons sérieux. J'ai besoin, avant que vous commenciez cette lecture, que nous fassions un pacte. Vous soupirez, je sais. Un livre, ça se laisse tranquillement lire d'habitude, ça repose l'esprit...alors un pacte!
Faites un petit effort, je vous en prie. Bon...je vous propose en échange un grand voyage. Un voyage inoubliable, là où vous n'auriez jamais cru pouvoir aller...Présenté comme cela, ça devient plus difficile de refuser!
Je vous ai bien fait mariner, à présent, voici notre pacte:vous allez me confier toutes vos armes. Vous savez, ce dont nous parlions tout à l'heure, les convictions personnelles, le prévisible, et les idées toutes faites de Tistou! Eh bien, c'est celles-ci dont je parle. Allez, sortez-les! Je sais, c'est dur, mais il le faut. C'est le seul moyen pour vivre ce merveilleux voyage. Merci. Ah!Ah! Vous en avez oublié une! Vous avez essayer de la cacher, celle-là! Donnez-la moi. Merci. Je vais les ranger soigneusement, ne vous inquiétez pas. Vous êtes un bon lecteur. Je sens que nous allons bien nous entendre. Sachez que vous pourrez récupérer vos armes à la fin de l'histoire. Enfin....seulement si vous souhaitez les reprendre. Qui sait, peut-être aurez-vous changer d'avis entre-temps.
C'était un soir de pluie. Les gouttes martelaient ma vitre. Dans la pénombre, la faible lumière de ma lampe de chevet brillait doucement; Le stylo dans une main, un épais cahier à ma disposition, j'écrivais dans le secret de cette nuit. Un ciel noir illuminé par une lune d'or: voilà la plus belle muse d'un écrivain, inspiration de tous les possibles. Un éclair fit vibrer un instant le ciel d'une intensité magique. Mais je ne m'en rendis pas compte: j'étais à la fois ici, et déjà ailleurs. On avait toqué à ma porte. Je lui avais ouvert. Quel étrange personnage! Curieusement, je ne fus pas surpris par cette apparition. Peut-être parce-que le délicieux mélange, à savourer sans modération, de la nuit et de l'imagination avait fait son effet. Ou peut-être aussi qu'il m'était apparu parce-que mes yeux pouvaient percevoir ce qu'ils ne perçoivent pas habituellement. Savez-vous que le monde réel rend aveugle?
Quoi qu'il en soit, il se tenait en face de moi. Il se présenta comme un écrivain, ce qui attisa ma curiosité, puisque nous avions des passions semblables. puis il me fit une promesse. L'authenticité de tout ce qu'il me raconterait. Je déchirais la page du cahier sur laquelle je travaillais, prêt à écrire son récit dans les moindres détails. Je ne sais si la nuit fut plus longue que d'habitude, mais elle sembla durer indéfiniment. Comme si le temps n'obéissait plus aux mêmes règles. Au matin, il disparut, et je ne le revis plus jamais. J'avais l'impression de m'être éveillée d'un long rêve. Pourtant, je savais que tout ce qui s'était produit était réel.
Comme l'esprit tente toujours de tout rationaliser, j'ai aussi pensé qu'il était possible...que cet étrange individu ne soit que le reflet de moi-même. Peut-être avais-je vécu une aventure si formidable, et si incroyable, que je ne pouvais me résoudre à accepter qu'elle m'était réellement arrivée. Alors mon cerveau aurait inventée toute cette histoire d' «étrange personnage» pour m'éviter de voir la vérité en face...et me permettre de garder ma sérieuse image, qui me convenait si bien! Enfin, ce ne sont que des suppositions.
Bref, rêve ou réalité, délire ou folie, il ne me restait de lui plus que ce livre relatant son étrange histoire.
Je pense avoir réalisé son souhait en partageant son récit, délire ou folie, rêve ou réalité.
CHAPITRE 1
Extrait du Manuscrit de la Frontière
Une errance dans des ombres épaisses
Une part de nous qu'à tout jamais on délaisse
La lumière semble infiniment lointaine
Et pourtant il suffirait d'un pas pour qu'on l'atteigne.
Dans un ailleurs j'ai créé des châteaux et des fées
Pour toujours invisibles aux yeux de leur créateur tourmenté
La sensation que la pensée peut rejoindre la matière
Est-elle encore une illusion de l'esprit amer?
Les œuvres de l’imagination me contemplent
Dans cet autre monde qui n'est pas notre temple
Entre les deux endroits la frontière est infinie
Peut-on seulement traverser la vie?
Ils se regardent à travers le miroir de leur univers
Sans remarquer les brisures du verre
Le reflet les illusionne sur les apparences
L'œil ne saurait voit au-delà de la transparence.
«Il était dans mon imagination, je crois. C'est là qu'il est apparu pour la première fois. C'est là qu'il est né dans toute sa complexité, avec ses souvenirs, ses émotions, ses sentiments, sa vie. Il aurait pu être tout autre, comme chacun d'entre nous. Il ne m'a plus jamais quittée depuis. Il ne me quittera plus jamais. Je vis pour lui et par lui, et pourtant dans la réalité c'est lui qui n'a pas d'existence sans moi.»
Il aimait cet endroit. Sa chambre, son univers. Il y avait tous ses souvenirs. Il lui semblait que cet endroit le connaissait vraiment. Ici, il était réellement lui. Qui était-il, après tout...le savait-il seulement lui-même? A-t-on seulement ce pouvoir sur soi-même?
Il toucha le mur de son armoire. Tellement présent, tellement là. Et si absent pourtant. Il lui suffisait de fermer les yeux pour être ailleurs, nulle part et ailleurs à la fois, et se demander si le contact froid du bois était bien réel. Le miroir. Son image surgissait devant lui avec une netteté impressionnante. Jeune, mince, brun, des yeux noirs... C'était si facile. En l'espace d'un instant cet objet tout en transparence croyait l'avoir démasqué.
D'un geste de la main, il chassa toutes ces pensées absurdes. Il revint à la «vraie» vie. Il n'y en a qu'une à ce qu'il paraît. Le reste? Des chimères, des illusions, de la folie.Il s'assit à son bureau pour écrire. Tandis qu'il saisissait le stylo, il interrompit son geste un instant. Il avait ressenti une légère sensation de «déjà vu». C'était d'autant plus étrange que c'était la première fois qu'il s'attablait pour écrire, préférant habituellement rester allongé sur son lit. Il chassa rapidement cette idée de son esprit. La sensation avait disparu. Il aimait écrire. Cela lui donnait l'impression d'être plus que ce qu'il était, d'aller au-delà. Au-delà... Où ça exactement?
-Justin!
Il se leva:
-Oui, maman?
-Allume la télévision, lui répondit-elle depuis les escaliers, ton émission a commencé.
-Ah! Oui! Merci, j'allais la rater.
Il posa le stylo sur son bureau et alluma la télévision.Les gros titres: «Physique quantique» apparurent sur l'écran.Il s'assit sur le rebord du lit pour écouter attentivement.
«Le monde tel que nous le percevons est une illusion. Ce n'est pas l'œil qui voit, mais le cerveau, l'œil n'étant que l'intermédiaire entre le cerveau et le monde. Nos croyances, nos prédispositions, notre manière de concevoir la réalité et encore d'autres facteurs sont autant de filtres qui influent sur ce que nous voyons. Si le monde nous semble rationnel, c'est parce qu’il a la rationalité que nous lui avons donné. Et si tout ce que nous croyions se trouver autour de nous n'était qu'une illusion? Le fruit d'une imagination? L'être humain n'utilise que dix pour cents de son potentiel. S'il parvenait à se servir ne serait-ce qu'un peu plus de ses capacités, il serait capable de maîtriser, façonner, créer la réalité. Du moins, sa réalité. Ce qui est sûr, c'est que tant qu'il n'aura pas pris conscience que le monde n'est pas indépendant de lui-même et de ses pensées, il ne pourra jamais le faire consciemment.»
Il ouvrit les yeux. Il avait du s'endormir après l'émission. Il regarda la pendule:minuit passés. Il travaillait demain. Il se leva avec difficulté pour s'allonger dan les draps.Il ferma les yeux. Brusquement, le visage d'une jeune fille lui apparut à l'esprit. Il était apparu dans ses yeux clos purement et simplement. Un visage familier, mais qu'il n'avait pourtant jamais vu à sa connaissance. Il ouvrit soudainement les yeux. Que lui était-il arrivé? Quel était ce visage qui avait surgi dans sa tête durant quelques secondes? Il observa sa chambre. Elle n'était pas comme d'habitude. Il n'aurait pu dire pourquoi. Comme si ce n'était pas exactement la sienne...Il se réveilla de nouveau, en sursaut. A sa grande surprise, il n'était pas allongé dans les draps, mais toujours vautré au bord du lit, comme s'il n'en avait jamais bougé après s'être endormi devant la télévision. Il se leva de son lit, pour de bon cette fois-ci, du moins l'espérait-il, et s'allongea dans les draps. Il ne réfléchit pas plus longtemps à cet instant curieux où il avait confondu rêve et réalité.
Il était dans un abime, du vide. En tout cas, s'il devait s'imaginer du vide, cela ressemblerait à peu près à ça. Il était suspendu dans ce néant, poussé doucement par une force qui le faisait avancer. Il lui semblait qu'il s'était écoulé des heures durant lesquelles il se trouvait ici, errant sans la moindre pensée, sans même se poser la question de ce qu'il faisait là. Il se sentait si seul. Une impression de solitude immense, qui engendrait en lui une angoisse qu'il n'avait jamais éprouvée auparavant. Soudain, une forme apparut au loin. Ce qui semblait être la forme d'une personne. Il hurla:
-Hé!
Il avait enfin un but. Rejoindre cette forme. Qui que ce soit. Mais elle semblait si loin... Justin ne se rappellerait pas de ce rêve au matin.
Extrait du Manuscrit de la Frontière
Ce monde est obscurci du noir de la nuit
Ses esprits tentent en vain de me ramener à lui
Mais la magie s'y est pour toujours envolée
Je pressens que la lumière n'y reviendra jamais.
Les racines de mon univers ne peuvent plus me retenir
Une force extérieure m'appelle en son paradis
J'embrasse de tout mon être mon nouvel avenir
Sois mon guide sur le chemin qui y conduit.
La sonnerie du réveil retentit. Il se réveilla. Il avait l'étrange sensation que la nuit avait été très longue. Comme s'il avait fait un long voyage durant la nuit.Une fois préparé, il embrassa ses parents qui eux aussi partaient au travail. Puis il prit sa voiture pour se rendre au collège. Comme tous les lundi matin de huit heures à dix heures, il devait surveiller en salle de permanence la classe de cinquième la plus agitée.Il se dirigea vers la salle et s'assit à son bureau, ignorant le brouhaha qui s'élevait tandis que les élèves prenaient place.Il leva la tête de son cahier de cours de psychologie qu'il s'apprêtait à ouvrir et remarqua qu'un jeune garçon était en train d'écrire sur le tableau. Sans surprise aucune, il s'aperçut qu'il s'agissait d'Eric, élève réputé pour ses capacités évidentes à faire rire la classe.
-Eric, qu'est-ce que tu fais? Vas t'asseoir tout de suite.
Ce dernier s'exécuta rapidement en pouffant.Justin se retourna pour observer son œuvre à la craie. Un dessin humoristique, si l'on peut dire, d'un personnage, avec indiqué comme légende: «le surveillant».
-Très amusant, ton dessin, Eric. Mais c'est en cours d'Arts Plastiques qu'il fallait faire. Tu t'es trompé d'heure!
-Ce n'est pas vous que j'ai voulu représenter, monsieur, c'est un autre surveillant, rétorqua le garçon sur un ton ironique.
L'ensemble de la classe éclata de rire.
-Je n'en doute pas une seconde, la sincérité est peinte sur ton visage. D'ailleurs, si tu venais me dessiner la sincérité, toi qui semble être un futur artiste?
Le garçon jeta un coup d'œil aux regards qui le fixaient. Le silence était revenu dans la salle. Il se leva avec hésitation.Tandis qu'il avançait vers le tableau, il se tourna vers une fille de sa classe, Mélanie, physiquement rondouillarde -et souvent seule, comme l'avait remarqué Justin à plusieurs reprises- et lui lança à voix basse :
-Qu'est-ce que tu veux, toi, la grosse morue?
-J'attends, Eric, s'impatienta Justin en ignorant sa remarque.
-Alors...oui, la sincérité, c'est ça? Bredouilla Eric en saisissant la craie. Heu...c'est la fait de ne pas mentir, non?
-Bravo! Maintenant dessine.Le garçon fronça les sourcils.
-On ne peut pas la dessiner. Et puis de toute façon vous n'êtes pas notre prof de dessin!
-Il semblerait pourtant que nous soyons en cours de dessin, à la manière dont tu as agis tout à l'heure, répliqua le jeune homme.
Le garçon peinait devant le tableau.
-La sincérité, reprit Justin, c'est un principe moral. Il faut l'intégrer pour être quelqu'un de bien. Et tu sais ce qu'est être quelqu'un de bien?
-Oui...
-Non, le coupa-t-il. Être quelqu'un de bien, c'est d'abord faire attention que nos actes ne blessent pas les autres autour de nous. Ou nos paroles, aussi. C'estréfléchir avant d'agir. Tu n'aimes pas qu'on te fasse de la peine, Eric?
-Non.
-Pourtant tu n'as vraiment rien dans le crâne! lui lança-t-il sèchement.
Des chuchotements s'élevèrent dans la salle.
L'élève vira au rouge.
-Pourquoi vous me parlez comme ça? S'indigna-t-il.
Justin sourit:
-Tu vois comme ça fait mal, quand on te manque de respect, ou qu'on se moque de toi. Eh bien, pour les autres, c'est pareil. Autant pour moi, que pour Mélanie par exemple.
Il vit un sourire timide se dessiner sur le visage de la petite fille assise aux premiers rangs.
-Est-ce que je dois te faire écrire cinquante fois: «Je ne dois pas faire aux autres ce que je n'aimerais pas qu'on me fasse», ou est-ce que tu as compris et tu ne recommenceras plus?
-J'ai compris, murmura le garçon.
-Tu peux retourner t'asseoir, Eric.
Il retourna à sa place, tête baissée. Justin était sûr de ne plus avoir à le reprendre pendant un bon moment, celui-là. Espérons qu'il avait fait d'une pierre deux coups et qu'il aurait de même compris la leçon. Un moment, tandis que son regard se posait de nouveau sur Mélanie, les souvenirs jaillirent dans sa tête. Il voulut les chasser, mais il était trop tard. Des images de lui-même, en cinquième, du petit garçon aux grosses lunettes, toujours aux premiers rangs et à l'écoute des professeurs. L'Eric de la classe s'appelait, à cette époque-là, Rémi. Rémi Decroisy. Il n'avait pas oublié ce nom. Il était assis à son bureau, occupé à écrire le cours. Rémi était placé derrière lui. Il sentit alors quelque chose toucher ses reins. Il entendit le ricanement du garçon et se retourna. Il passa la main dans son pantalon. Elle en ressortit toute tâchée d'encre. Il lui fallut un moment pour réaliser que Rémi Decroisy lui avait mis une cartouche d'encre ouverte dans le pantalon. Justin se leva et courut aux toilettes. Il y passa plus de temps à pleurer qu'à tenter de faire partir l'encre.
Il baissa les yeux. Cela faisait longtemps qu'il n'avait plus penser à ça. Le beau jeune homme qu'il était aujourd'hui était bien loin du garçon frêle à lunettes, il est vrai, mais...il en aurait pu être autrement. D'autres images, plus douloureuses encore, vinrent à son esprit. Le petit Justin avait supplié ses parents de ne plus l'obliger à aller en classe. Bien évidemment, ils avaient refusés. Que pouvait savoir un adulte de ce qui se passait dans la tête d'un enfant qui redoutait avec terreur chaque minute passée à l'école? Il savait où ils rangeaient les médicaments. Il avait attendu patiemment qu'ils dorment, et avait emmené plusieurs boîtes dans sa chambre. Tandis qu'il contemplait les rangée de cachets, il se disait: «Une journée de plus, je n'y arriverait pas. Plusieurs autres journées, je préfère mourir.» Il en avait déjà avalé trois. Soudain, le bruit de la porte. La lumière de sa chambre jaillit.
Il avait déjà entendu dire que les mères sentent quand quelque chose ne va pas.
-Maman?
-Justin, mais qu'est-ce que tu fabriques? Tu devrais déjà être couché depuis longtemps et...
Elle s'était interrompu. Elle avait aperçu les boîtes et le verre d'eau
-Qu'est-ce que tu fais?, reprit-elle d'une voix tremblante.
Du son de sa voix, Justin s'en rappelait aussi comme si c'était hier.
-Rien, je...je...
Il éclata en sanglots.
Elle resta silencieuse, le prit dan ses bras et le serra fort.
Lorsqu'elle l'écarta d'elle, il vit des larmes perler aux coins de ses yeux. Il avait pourtant toujours cru que les mamans ne pleuraient pas.
Malgré qu'elle devait se lever tôt pour travailler le lendemain, elle était restée une bonne partie de la nuit à discuter avec lui. Des bribes de ses paroles lui revenait:
«Je peux comprendre ce que tu ressens...à ton âge, on a l'impression que rien d'autre n'existe que le présent. Mais tu as aussi un avenir. Il te semble loin, mais quand tu repenseras à tout ça, dans quelques années, tu verras comme il était proche. L'école peut parfois tourner au cauchemar pour certains d'entre nous, mais c'est une épreuve que tu dois passer, afin d'avoir un avenir merveilleux dans le monde des adultes, et d'être respecté de tous - et surtout des personnes comme Rémi Decroisy. C'est ta seule chance de te venger de ton passé. Il y a des choses, Justin...si tu savais...plus importantes que tout le reste, et même que les moqueries de tes camarades. Par exemple, il y a ta maman qui t'aime, et qui donnerait sa vie pour toi. Je te soutiens en pensée quoi qu'il arrive. Pense uniquement à ce qu'il y a de bien dans ta vie, et aux gens qui t'aiment. Je sais que c'est dur, mais tu deviendras de plus en plus fort avec le temps, et tu oublieras tout ça. Que tu le croies pour l'instant ou non, la vie te réserve des merveilles. Laisse-lui juste le temps de te les montrer. »
A l'idée de la souffrance que sa mère pourrait ressentir s'il se faisait du mal, car dans sa douleur il s'était uniquement centré sur lui-même, il décida de ne jamais réitérer ce geste, et se concentra davantage sur ses études, pour être respecté et vengé plus tard comme elle le lui avait dit. Mais...qui sait ce qui serait arrivé si son instinct maternel ne l'avait pas réveillée à ce moment-là.
Justin était devenu, depuis cette épreuve, très sensible aux moqueries des élèves qu'il voyait sur son lieu de travail. Il ne pouvait supporter l'idée que les mêmes pensées qui l'avait traversé dans sa jeunesse traversent l'esprit d'un autre enfant.
Des voix le tirèrent alors de sa rêverie.
-Ça te va bien, Mélanie, ça ajoute un peu de couleur à ta chevelure.
La voix provenait d'une fille qui se trouvait derrière Mélanie.
-Que se passe-t-il? Les interrogea Justin en s'approchant du groupe.
Il remarqua que Mélanie tentait d'arracher un gros chew-gum vert pris dans ses cheveux.
-Qui lui a fait ça?
Personne ne répondit.
-Qui t'as fait ça, Mélanie? Chuchota-t-il à la petite fille.
-C'est...Précilia, répondit-elle timidement en désignant la fillette derrière elle.
Intérieurement, Justin bouillait. Il ne savait pas si c'était surtout à cause des événements tragiques qu'il venait de se remémorer, mais il était hors de lui, lui qui savait pourtant si bien garder son calme habituellement.
-Précilia, commença-t-il en essayant de contenir sa colère, lève-toi.
La petite fille se leva prudemment en jetant des coups d'œil furtifs aux élèves de la classe, un léger sourire sur les lèvres.
Il fallait qu'il se calme, qu'il fasse preuve d'imagination, comme il savait si bien le faire. Il observa pensivement la coupable. Un visage d'ange, de longs cheveux blonds, de beaux yeux bleus, habillée comme une jeune fille de vingt ans qui se prépare à aller danser en discothèque...Quel pouvait bien être le cauchemar de ce genre de fille?
Il avait trouvé.
-Qui a des feutres? Demanda-t-il en s'adressant à l'ensemble de la salle.
L'un des élèves leva la main et lui tendit sa trousse.
-Maintenant, approche, Précilia.
On pouvait à présent entendre les mouches voler. L'expression de confiance de la concernée s'était envolée. Il saisit d'une main le visage de la jeune fille pour le maintenir immobile, et lui coloria le nez en rouge. Puis, à l'aide du feutre noir, il lui dessina une moustache et un bouc. Précilia avalait sa salive avec peine, ne saisissant pas encore ce qu'il était en train de lui faire. Puis elle se débattit:
-Qu'est-ce que vous me faites?
Des éclats de rire, d'abord timides, puis de plus en plus prononcés, s'élevèrent dans la classe.
La fillette, elle, riait jaune, ne comprenant visiblement rien à la situation, et ne sachant comment réagir.
-Attends, je n'ai pas fini, Précilia.
-Laissez-moi!
-Attention, tu veux que je t'inscrive pour trois heures de colle ce samedi à huit heures du matin?
-Non...
-Alors, approches.
Il écrivit alors sur son front la cerise sur le gâteau: «J'aime faire rire la classe, je suis un clown.»
Les rires des élèves redoublèrent de plus belle. Justin était fier d'avoir réussi son coup: Il en avait fait la risée de la classe.
-Pourrais-je au moins voir ce que vous m'avez fait? Pourquoi est-ce que tout le monde rigole?
-Tu pourras aller regarder aux toilettes après la permanence si tu veux. Maintenant, enlève le chewing-gum des cheveux de Mélanie. Si tu lui fait mal ou lui arrache un cheveu, tu as droit aux heures de colle. Je te surveille, tu as tout le temps.
Précilia saisit une chaise pour la placer à côté de Mélanie.
-Non, reste debout. Je veux que tout le monde puisse regarder ton magnifique visage pendant que tu le fait, ajouta-t-il en esquissant involontairement un sourire.
La petite fille s'exécuta. Justin du s'avouer qu'il avait pris plaisir à ridiculiser cette enfant égoïste et sournoise. Il avait éprouvé un sentiment...comme de la vengeance. Dans la situation présente, il avait le pouvoir, contrairement à l'époque où il était en cinquième. Le pouvoir de venger. Et avec une pointe de plaisir non dissimulée, il se montrait impitoyable.
Son plus grand plaisir fut cependant de voir se dessiner sur le visage de Mélanie une expression que nul lui connaissait, presque irréelle: un sourire franc et victorieux - tandis que la fille la plus populaire de sa classe au visage de clown soignait ses cheveux.
Extrait du Livre de La frontière
Pensées
Je t'ai donné des souvenirs, un passé si personnel
Pour moi tu es aussi réel que les nuances du ciel
Mes sentiments pour toi m'ont rattachée à ton imaginaire
A tout jamais mes yeux seront tournés vers ton univers.
Je le crains et je l'espère, un jour tu découvriras la vérité
Me pardonneras-tu seulement alors ce que j'ai fait?
Ce jour-là j'aurai baigné ton existence de magie
Autant que je lui aurai ôtée toute la magie de la vie.
Je t'imagine me contempler de tes grands yeux de larmes
Me libérant en l'espace d'un instant de toutes mes armes
Puis me serrer avec passion contre ton corps
Me murmurant que notre union valait bien ce sort.
Imaginer, c'est la seule chose que je sois capable de faire
Même si j'ai bien conscience de ne créer que des chimères.
Encore une fois je t'implore: Pardonne-moi
Puisse le cri de ma douleur parvenir jusqu'à toi.
Justin se retourna soudainement.
-D'où viens cette voix?
Les élèves levèrent la tête vers lui avec surprise.
-Vous n'avez pas entendu? Reprit-il. C'était comme un cri étouffé...
Certains enfants murmurèrent un «non» étonné.
Il était pourtant sûr d'avoir entendu quelque chose, un «pardonne-moi» lointain et proche à la fois. Il avait probablement dut rêver. «Curieux», conclut-il en son for intérieur en s'efforçant de penser à autre chose.
-Aïe!
Cette fois, Justin n'avait pas rêvé. Le cri de Mélanie avait retentit dans la salle.
-Elle t'as fait mal? L'interrogea le jeune homme.
-Ça va, murmura la fillette.
-Sois plus douce! Ordonna-t-il sévèrement à Précilia. Les heures de colle te guettent toujours!
-Mais je n'arrive pas à l'enlever!
-Tu as intérêt d'y arriver.
-Est-ce que je vais devoir couper mes cheveux? S'inquiéta Mélaine.
-Il n'en est pas question. Si Mélanie doit couper une seule mèche de ses cheveux par ta faute, dit -il en s'adressant à Précilia, je prends les ciseaux et je te montre mes talents de coiffeurs, Précilia. J'étais très doué étant petit, ma sœur garde encore un mauvais souvenir de l'époque où je m'exerçais sur ses barbies!
Tandis que l'enfant continuait sa tâche, il aperçut une larme couler le long de sa joue. Il réalisa soudainement qu'il était à l'origine de la plus grande humiliation de sa vie, chose dont elle ne devait pas avoir l'habitude.
Il s'approcha d'elle:
-Précilia...
Voyant qu'elle ne répondait pas, il lui prit la main et l'emmena un instant dehors. Une fois seule avec lui dans le couloir, elle éclata en sanglots.
-Ecoute-moi, lui dit-il. Je me suis montré dur avec toi parce-que tu l'as été avec Mélanie. Il fallait que tu saches ce que l'on ressent lorsque...
-je sais, murmura-t-elle en larmes, mais je voulus juste m'amuser...
Il lui caressa la joue:
-Je sais, Précilia. Mais en voulant t'amuser, tu n'imagines pas tout ce que tu as pu faire ressentir à cette pauvre fille. Tu ne te rends pas compte qu'à cause de ton acte, peut-être qu'en rentrant chez elle ce soir, elle passera toute la soirée à pleurer. Peut-être même regrettera-t-elle d'être encore en vie... Qui sait ce qui peut traverser l'esprit d'une enfant blessée? Ce ne sont que des suppositions, mais tu ignore comme cela peut-être terrible d'être sans arrêt l'objet des moqueries et des méchancetés...comme celle que tu viens de lui faire. D'ailleurs, je te l'ai bien fait ressentir. Tu n'as pas éprouvé le quart de ce qu'elle a pu endurer, et tu ne l'as pas supporté.
-Je regrette maintenant...
-Dans ce cas j'aimerais que tu le lui dise avec sincérité.
-Oui.
Elle allait ouvrir la porte de la classe, mais il la retint.
-Attends. Viens avec moi.
Tandis qu'elle le suivait, il traversa les couloirs pour l'emmener dans les toilettes de l'établissement.
Quand elle aperçut son reflet gribouillé de feutre dans le miroir, elle poussa un cri en plaquant ses mains sur son visage.
-C'est à moi de te faire des excuses maintenant, lui dit-il avec douceur. Mais j'espère que grâce à cette expérience, la prochaine fois tu réfléchiras à deux fois avant de te moquer de qui que ce soit de tes camarades.
Il lui passa de l'eau sur le visage.
-Maintenant, dit-elle, c'est de moi dont tout le monde va se moquer.
-Ne t'inquiètes pas pour ça. Chacun de ceux qui ridiculiseront encore un élève aura droit à une leçon comme celle que tu as subi. Cela m'étonnerait que tu sois la dernière!
Ils retournèrent en classe.
Elle s'approcha dans le silence de la salle de Mélanie.
-Excuse-moi, Mélanie. Je ne voulais pas te faire de peine.
Les élèves étaient bouche-bée.
-Maintenant, dit Justin, c'est moi qui vais m'occuper de te libérer de ce vilain chewing-gum.
Il s'assit à son bureau et sortit son ordinateur portable de son sac. Il l'alluma et pianota une recherche sur Google: enlever chewing-gum cheveux. Il cliqua sur le premier forum qui s'affichait pour y lire les conseils.
-De...l'huile d'olive, lit-il à voix haute. Où vais-je bien pouvoir en trouver? Suis-je bête! A la cantine. Les enfants, pas de bêtise, je reviens.
Il réapparut quelques minutes plus tard muni du produit miracle.
Il incita les élèves à cesser les bavardages, puis invita Mélanie à s'asseoir près de son bureau pour qu'il s'occupe de son petit problème. Il déposa soigneusement un peu de produit sur la zone emmêlée par le chewing-gum, prenant soin de ne pas trop en abuser, afin ne pas graisser sa chevelure outre-mesure. Au terme de quelques minutes de patience, en séparant délicatement les mèches, il parvient finalement à ôter l'intrus. Cette petite victoire lui procura un immense soulagement.
Mélanie le remercia avec un sourire.
-C'est bon, tu es délivrée. Tu n'auras pas besoin de couper un seul de tes cheveux. Heureusement pour Précilia! Tu peux retourner à ta place, Mélanie.
-Merci, monsieur.
Elle rejoignit son bureau.
Tandis qu'elle allait s'asseoir, Justin aperçut le garçon qui était assis derrière elle, à côté de Précilia, déplacer sa chaise. Mélanie tomba par terre. Des éclats de rire se firent entendre. Mélanie se releva en jetant autour d'elle des regards inquiets.
-Tu n'aurais jamais du faire ça... murmura Précilia au garçon.
-Je n'ai pas fait exprès, j'allai glisser et je me suis rattrapé à sa chaise! Répliqua-t-il en pouffant.
Cette fois, c'était trop. Laisseraient-ils cette pauvre enfant tranquille cinq minutes? Comment tant de cruauté pouvait habiter ces petits êtres si innocents en apparence? Justin sentait une rage folle l'envahir. La même qu'il ressentait lorsqu'il était, plus jeune, à la place de Mélanie. Il n'arrivait plus à réfléchir, ne voyait plus les petits visages qui le scrutait. Tout était flou. La colère lui brouillait la vue et les idées.
Sans savoir pourquoi, il posa les yeux sur la lampe au-dessus de la tête du garçon. Soudainement, il la vit se décrocher. Tout se passa très lentement, et très vite à la fois, sans qu'il ne puisse prendre réellement conscience de ce qui se produisait. Elle tomba droit sur le fautif du mauvais tour.
Mu par une pulsion irréfléchie, le garçon se laissa tomber de sa chaise pour l'éviter à temps. Il s'en était fallu de peu. Lorsqu'il réalisa ce qui venait de se passer, Justin se précipita vers lui.
-Est-ce que ça va?
L'enfant ne put que hocher la tête, blême. Il lui saisit la main.
-Je te conduis à l'infirmerie pour vérifier que tu ne te sois pas fait mal.
La cloche marquant la fin de l'heure se fit entendre.
Il permit aux élèves de sortir.
En route vers l'infirmerie, Justin se surprit à se demander s'il était la cause de cet incident.
CHAPITRE 2
Extrait du manuscrit de la Frontière
Pensées
Si seulement tu pouvais prendre conscience
De la douce malléabilité de ton existence
Tu as le pouvoir de la modeler dans ses infimes formes
Mais ton ignorance lui attribue les plus rigides normes.
J'inspire tes actes et tu inspire les miens
J'ai mis du temps mais je l'ai compris enfin
Sois ma muse dans cette expérience unique
Je promets de tendre l'oreille à ton esprit magique.
«J'étais sous l'emprise de la fureur, j'ai regardé cette lampe...et elle est tombée. C'est complètement idiot, ce que je raconte. Je fais un lien entre deux choses totalement différentes. Mais au fait...pourquoi est-ce que je pense à ça?»
Il s'allongea sur le canapé en prenant une profonde inspiration.
«Ah!Oui! C'est sûrement à force de voir toutes ces émissions sur la physique quantique, ça commence à me rendre dingue. Je devrais être plus terre à terre et cesser de rêver.»
Mais cesser de rêver, cela n'était pas chose facile pour quelqu'un comme Justin, écrivain passionné, curieux de connaître tout du monde. Chaque moment de ses journées était source de méditation sur la vie, sur la sienne comme sur le sens de la vie en général, sa signification profonde. Il ne faisait pas partie de ces gens qui vivent sans se poser de questions, au gré des événements qui forment le quotidien. Il n'était pourtant pas une personne renfermée sur elle-même; bien au contraire, il appréciait par-dessus tout les contacts humains, les rencontres, les nouvelles connaissances. Il aimait les gens. Il essayait de les comprendre, dépensant parfois trop d'énergie à vouloir les aider, ou à se révolter contre toutes les formes d'injustice et de cruauté. Cependant, il pouvait lui arriver de passer des heures entières parmi ses livres, cherchant des réponses, à toutes sortes de questions. S'il existait une maladie pour justifier son comportement, elle s'appellerait sans doute «la maladie de vouloir tout comprendre». Seulement, pouvait-on tout comprendre?
«Parfois, se dit-il, j'ai l'impression indescriptible et insensée d'être plus que ce que je suis. De me sentir d'un seul coup grand et puissant, dans le sens où je contiendrai en moi toutes les réponses à toutes les questions possibles de ce monde; et dans le sens où je serais capable, moi, infime créature de cet univers infini, de faire des choses extraordinaires, tout ce que je désirerais. Comme si je sentais en moi le pouvoir de changer le monde, mais que je n'arrivais pas à faire sortir ce pouvoir, à l'utiliser. Ce pour des raisons que j'ignore. Puis, cette sensation tout à fait absurde, presque irréelle, s'en va comme un rêve. Et je ne la retrouve que lorsque je n'y pense plus.»
Il prit le manuscrit à côté de son genou et le contempla rêveusement. Il était achevé, mais ce n'était que le premier tome. Il travaillait actuellement sur le second. Justin écrivait pour son propre plaisir; il en éprouvait même le besoin. Mais il voulait aussi plus que cela: faire entrer d'autres personnes dans son univers, le partager, avec des gens de tous milieux qui n'ont à priori rien en commun, ne se connaissent pas, et ne se rencontreront sûrement jamais; mais pourtant s'unissent entre elles et avec lui le temps d'une histoire grâce à la lecture. Il souhaitait donc proposer son œuvre à un concours littéraire, qui demandait aux participants d'accompagner leur manuscrit de leurs réponses à un questionnaire. Il se leva et tourna la petite clef dans la serrure du buffet qui trônait près de la télévision; un buffet brun, délicatement ciselé, qui inspirait la magie des contes de fée. Il en sortit des feuilles et sa trousse de stylos. S'asseyant de nouveau sur le canapé muni de son matériel, il entreprit soigneusement de de rédiger un brouillon de ses réponses au questionnaire.
La première question lui plaisait: «Pourquoi écrivez-vous?» Simple et directe, assez vague pour lui permettre de s'exprimer sans restrictions.
«L'écriture est mon espace de liberté. Je peux créer de toutes pièces tout ce que je désire. La réalité est munie de barrières infranchissables, l'être humain en tant que tel est enchainé. L' écrivain peut repousser toutes les limites. Mais ce qui attise le plus ma fascination, c'est la «vie» des personnages fictifs. Ils sont illusion, habitent un monde d'illusion, mais ont un passé, un destin bien réels. Ils ont eux aussi, comme nous, une existence propre, mais sur un autre plan. Quelque part, ils «sont».
Je considère le monde dans lequel nous vivons, l'univers, comme un joyau. Un bijoux de toute beauté et inestimable. J'aime ainsi contribuer à l'enrichir à ma manière, en lui aménageant d'autres portes, menant à ce que l'on pourrait appeler, pour utiliser un terme à la mode, des «mondes parallèles».»
Le jour attirant irrésistiblement son regard, il jeta un coup d'œil par la fenêtre. En effet, le monde est merveilleux, pensa-t-il Le blanc pur des nuages qui se détache sur un bleu infiniment profond, la lumière des rayons qui éclate en dorures étincelantes sur les arbres paisibles...Illusion ou réalité, ce spectacle est extraordinaire, presque surnaturel. Certaines personnes ne s'en émerveillaient même plus, mais Justin le voyait toujours d'un œil de nouveau-né, comme si ses yeux avaient été à jamais envoutés par toute la poésie de l'univers.
Cela faisait déjà plus d'une heure qu'il peinait sur ses cours de psychologie. La psychologie était sa passion. Elle lui permettait de comprendre l'homme, et donc de se comprendre lui-même. Il s'agissait en effet d'une science qui répondait à de nombreuses de ses questions. Il l'utilisait dans tous les événements de son quotidien. Elle lui permettait, entre autres, d'aider les autres, autant qu'il le pouvait lorsque les circonstances se présentaient -comme il l'avait fait avec la petite Mélanie.
Il entendit quelqu'un toquer à la porte de sa chambre.
-Oui?
Sa sœur, Séphina, entra dans la pièce.
-Tu t'en sors avec tes cours? , lui demanda-t-elle avec un petit sourire ironique.
-Ça peut aller, répondit-il. Et toi?
-Ne t'inquiètes pas pour ça.
-Je ne m'inquiète pas. Tu es une chanceuse, tu as toujours des bonnes notes sans même ouvrir un livre!
-Arrête, nous avons presque le même niveau! Sauf que j'ai le charme en plus, aucun professeur n'y résiste! Plaisanta-t-elle.
Il est vrai que Séphina était une fille superbe. Sa peau d'ambre, ses yeux d'ébène en amande brillant à travers ses cheveux bruns très lisses, lui donnaient un aspect qu'on n'oublie pas.
-Mais, reprit-elle, j'aimerais bien qu'on travaille ensemble sur l'extrait de Freud que le prof nous a distribué la dernière fois.
-Bonne idée.
Justin et Séphina se ressemblaient beaucoup du point de vue du caractère et de la personnalité. Tellement qu'ils avaient tous deux choisis des études de psychologie. Et ce n'était pas par hasard s'ils avaient des affinités: Ils étaient jumeaux. Des jumeaux...inséparables.
Elle s'assit à côté de lui sur le lit.
Tandis qu'ils discutaient de leurs impressions personnelles à propos du texte, elle lui dit:
-C'est incroyable de réaliser à quel point l'être humain est complexe. Le moindre événement peut avoir des répercussions sur notre santé mentale et physique sans que l'on n'en prenne jamais conscience. Si l'on y réfléchit, on ne sait pas grand-chose de nous-même.
-L'homme n'en est qu'à ses débuts, ajouta Justin. A mon avis, il n'a pas fini d'être surpris par ses découvertes. Et nous en savons pourtant si peu, à l'heure actuelle.
-C'est vrai...T'es-t-il déjà arrivé de penser que tout ce que tu vis n'est peut-être qu'une immense hallucination, ou alors un rêve?
-Tu n'es pas ma sœur pour rien, toi! Nous sommes des personnes qui nous posons trop de questions inutiles! Plaisanta-t-il.
Puis il reprit, plus grave:
-Cela m'est déjà arrivé plusieurs fois, oui. La vie est une chose si étrange. Nous-mêmes sommes des «choses» si étranges. Il est vrai qu'une part de vérité nous sera à tout jamais dissimulée, semble-t-il.
-A tout jamais, je ne pense pas, mais...
Ils entendirent la voix de leur père tonner dans l'entrée:
-Venez manger, les inséparables!
-On arrive! Crièrent-t-ils d'une seule voix.
Justin n'arrivait pas à dormir. Il tâtonna dans la pénombre pour allumer sa lampe de chevet. Il s'assit dans son lit, et la lumière du miroir de son armoire brilla d'une intensité particulière. L'œil attiré, il se leva.
Tandis qu'il se dressait lentement devant la glace, il sursauta en apercevant le reflet. Ce n'était pas le sien! Le cœur battant à tout rompre, il se frotta les yeux, les réouvrit: Ce n'était pas possible...le reflet que lui renvoyait la glace était absurde: C'était l'image de sa sœur, Séphina, qui s'y trouvait. Il tendit le bras vers la surface lisse et brillante. Le reflet de la jeune fille fit de même. La main tremblante, il effleura le miroir. Il eut à peine le temps de frissonner à son contact glacial...qu'il se réveilla.
Il secoua la tête en tous sens.
«Quel rêve bizarre», dit-il à voix haute pour lui-même.
Extrait du Manuscrit de la Frontière
Pensées
Bel oiseau de nuit, perdu dans les ténèbres sordides,
Oublies chacune de tes convictions les plus solides,
Défroisse tes ailes et laisse-toi tomber dans le vide
Aussi sereinement qu'une pluie sur un désert aride.
Apprends enfin à démasquer tout ce que tu penses exister
Ouvre les yeux sur les visages que ton regard croit contempler
Ne te laisse plus bercer par les rêves dans lesquels je t'ai entrainé
Plus que jamais je veux t'exposer à la lumière de la vérité.
-J'ai rêvé de toi cette nuit, Séphina.
-Ah! Oui! Tu n'en as pas assez de me voir toute la journée, il faut en plus que tu rêves de moi!
Il tartina son croissant de beurre.
-C'était tellement absurde. Je me regardais dans le miroir, et...c'était ton reflet qui s'y trouvait!
-Tu es sûr que tu as bien rêvé de ça?
-Puisque je te le dis!
-C'est très étrange. Je ne me rappelais pas de ce dont j'avais rêvé, mais maintenant que tu m'en parles, cela évoque en moi le souvenir d'un rêve en tout point semblable que j'ai fait cette nuit. C'est fou! Attends, que je me souvienne...il avait l'air si réel que je croyais véritablement être éveillée. Je n'arrivais pas dormir, et je me levais devant le miroir...
Justin retenait sa respiration devant son récit. Ce n'était pas possible. Comment avait-elle pu faire le même rêve que lui? Décidément, il y avait quelque chose d'anormal qui se produisait dans sa vie, mais il ne savait pas bien quoi. Elle poursuivit:
-...Je me levais devant le miroir...et c'est moi-même que je voyais! Bizarre, non! Pourquoi est-ce que j'ai vu mon propre reflet dans la glace!
Sur ces mots, elle partit d'un grand éclat de rire.
Justin leva les yeux au ciel.
-C'était très, très marrant, Séphina! Je suis mort de rire, comme tu peux le voir.
-Allez, avale ton p'tit déj, p'tit frère, on va être en retard!
-Je ne suis pas ton petit frère, je te signale au cas où tu l'aurais oublié que j'ai exactement le même âge que toi!
-Peut-être, mais ça sonne mieux à l'oreille! Et puis, pour moi tu es quand même mon p'tit frère!
-Qu'est-ce que ça veut dire, ça?
Leur mère entra dans la cuisine.
-Arrêtez de vous chamailler comme des enfants, mes futurs psychologues! lança-t-elle en riant. Séphina, viens plutôt m'aider à fermer mon collier.
-Je finis mon jus d'orange et j'arrive, maman!
Justin se leva pour nettoyer la table avec un soupir, tandis que sa sœur rejoignit sa mère dans la salle de bain.
Des bribes des paroles de Séphina lui parvinrent:
«Il est trop mignon et...»
-Dépêche-toi sinon je pars sans toi! Lui lança Justin. Et j'espère que c'est de moi dont tu parles!
-Ce n'est pas parce-que c'est toi qui as la voiture que tu peux te permettre de faire ta loi! Répondit-elle depuis la salle de bain. Je me repasse une couche de rouge à lèvres et je te rejoins.
Il prit au passage les clés disposées sur le meuble de l'entrée et sortit pour démarrer la voiture. Quelques instants plus tard, elle ouvrit la portière et monta.
-Selon Freud, commença-t-elle en passant la main dans ses cheveux pour les faire retomber sur ses épaules, ton rêve pourrait signifier simplement que tu cherches ta personnalité, ton identité. Qui tu es réellement. Ou alors que tu es dans une phase de remise en question. Cela paraitrait logique, tu te regardes dans le miroir et tu y découvres un reflet différent que celui auquel tu t'attends. Et on sait que selon le docteur Freud, les personnes n'ont souvent aucune importance et peuvent cacher un symbole abstrait ou une pensée...autrement dit, ce serait le rôle que je joue dans ton rêve:ta méconnaissance de toi-même.
Justin applaudit.
-Bravo, docteur Freudette!
-Hé! Repose les mains sur le volant!
Il rit.
-C'est possible, reprit-il plus sérieusement. Cela coïnciderait même avec certaines questions que je me pose en ce moment.
-Le plus important dans un rêve, c'est l'émotion que tu as ressenti. Rappelle-toi l'un de nos derniers cours. Parfois, certains rêves paraissent anodins mais l'émotion que l'on y ressent est décalée par rapport à ce qu'y s'y passe. Cette émotion est significative.
-C'est vrai, tu as raison.
-Et qu'éprouvais-tu donc, dans ton rêve?
Il fronça légèrement les sourcils.
-Eh bien..., répondit-il. J'éprouvais...une angoisse immense. Comme si j'étais aspiré dans un vide infini. Une peur indescriptible. En voyant ce reflet, j''étais totalement terrifié.
Elle hocha la tête pensivement tout en l'observant. Puis ils restèrent silencieux durant le reste du trajet.
Ils traversèrent tous deux d'un pas vif le couloir bruyant.
Ils s'arrêtèrent au niveau de la classe dans laquelle ils avaient cours à leur habitude.
-C'est curieux, commenta Séphina, il est moins le quart et il n'y a personne. A cette heure-ci, il y a toujours au moins cinquante élèves qui attendent!
-Attends-moi, lui lança Justin, je vais demander à la secrétaire si on lui a signalé l'absence de notre professeur aujourd'hui.
Il revint quelques minutes plus tard en secouant négativement la tête:
-A priori, madama Kawasy devrait être là et elle n'a pas mentionné de changement de salle inhabituel. Il ne nous reste plus qu'à attendre.
-Bon...
Justin s'appuya contre le mur tandis que Séphina observait les élèves passer devant elle.
Au bout d'un certain moment de soupirs, elle regarda sa montre:Huit heures sept. Elle tenta d'ouvrir la porte de la classe. Elle était bien fermée à clef.
-Je crois qu'on peut s'en aller. Visiblement, il n'y a ni professeur ni élèves. Juste toi et moi.
-Tu as raison, répondit Justin. Je ne sais pas comment, mais elle a du faire passer l'information de son absence et nous n'avons pas été mis au courant.
Ils descendirent les escaliers. Ils croisèrent alors une jeune fille de leur classe, Clarie. Une fille blonde de taille moyenne un peu forte, dont les joues faisaient des fossettes lorsqu'elle riait.
-Coucou vous deux, pourquoi vous descendez? Je suis rassurée de ne pas être la seule à être en retard!
-Tu n'as plus à t'en inquiéter, car le professeur n'es pas là! Lui lança Justin. D'ailleurs, visiblement, personne n'es là!
-Vous êtes sérieux?
-Cela fait plus de vingt minutes qu'on a attendu, ajouta Séphina, alors on allait repartir.
Clarie haussa les sourcils, surprise.
-Bon, c'est étrange. Je n'étais pas au courant. Comment les autres élèves l'ont-ils su?
-Aucune idée, répondit Justin en haussant les épaules.
-Je vais quand même aller vérifier, au cas où. A plus, Justin. A plus, Séphina.
-A plus tard, répondirent l'un après l'autre les jumeaux.
Ils étaient presque arrivés dans le hall lorsque Clarie descendit à leur rencontre, visiblement essoufflée.
-Hé! Il y a cours, lança-t-elle. Je ne sais pas ce que vous me racontez, mais la salle est pleine à craquer et madame Kawasy est là.
-Quoi? S'exclamèrent-ils d'une seule voix.
Ils la suivirent, incrédules, jusqu'à la classe. Cependant, elle ne les emmena pas à l'endroit où ils avaient attendu, mais devant une autre classe.
-Mais ce n'est pas ici qu'on a cours d'habitude, bredouilla Justin, c'est en quatre cents...
-Cinq cents quatre, le corrigea Clarie.
Justin se tourna vers Séphina.
-Où sommes-nous allés? Lui demanda-t-il.
-Je crois que nous avons attendu devant la classe quatre cents deux, mais...j'ignore pourquoi. Nous avons toujours eu cours en cinq cents quatre, pourtant, tu as raison, Clarie. Ce depuis le début de l'année scolaire.
-Je n'y comprends rien, répondit Justin en se frottant le menton, comment avons-nous pu nous tromper comme ça? Spontanément, nous nous sommes dirigés vers cette salle dans laquelle nous n'avons jamais eu cours.
-J'étais aussi persuadée que c'était notre classe habituelle. Je ne sais absolument pourquoi, ajouta sa sœur.
Clarie les observa tous les deux d'un air inquiet:
-Vous êtes sûrs que vous allez bien, tous les deux?
Justin soupira et prit la main de Séphina:
-Allons-y, nous allons rater la correction des exercices.
La voix mystérieuse et féminine planait sur ses rêves, mais l'entendait-il réellement?
«Entends ma voix, entends ma voix, ENTENDS MA VOIX! Je suis sûre que tu le peux, je sais que tu le peux! Ouvre les yeux sur ton monde, c'est le seul moyen de me découvrir! Il n'y a que toi qui peux décider de ton destin, tu es REEL! JE L'AI DECIDE! OUVRE LES YEUX, JUSTIN!»
Au beau milieu de la nuit, Justin ouvrit soudainement les yeux. Il ignorait ce qui l'avait tiré de son sommeil -aussi brutalement.
Résumé/Synopsis de La Frontière
Qu'est-ce que La Frontière? Une porte menant à d'autres mondes? Justin ignore l'existence même de cette «frontière». Ils n'est qu'un banal étudiant qui rêve de devenir écrivain.
Pourtant, des événements étranges ont lieu dans sa vie, laissant penser qu'il dispose d'un certain «pouvoir» sur la réalité. Parallèlement, Justin entend des voix provenant d'une femme qui semble vouloir prendre contact avec lui. Entrecoupé d'extraits poétiques d'un livre mystérieux s'intitulant le «Manuscrit de la Frontière», le récit dévoile peu à peu au lecteur le secret extraordinaire d'un univers inconnu, dépassant les limites de la raison. Mais quel est le rapport entre cet autre monde, cette femme, et Justin?
Il se retrouve du jour au lendemain, accompagné de sa sœur jumelle Séphina, propulsé au cœur d'une spirale d'événements de plus en plus curieux et de révélations incroyables, et renonce petit à petit à ses convictions les plus profondes. Son but? Répondre à la question ultime: Qui est-il vraiment?
Pour accepter de passer la frontière, il n'y a qu'un seul chemin: oubliez tout ce que vous avez toujours cru. Car tout est faux, et tout est possible. Le meilleur...comme le pire.
Voici maintenant des extraits d'un second roman que j'ai écrit: La Frontière. Laissez-moi vous en présenter l'introduction, ainsi que les deux premiers chapitres.
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